Le canular pour mieux comprendre l'info

On ne compte plus les canulars et fakes tenus pour des faits véritables. En cause, des médias voyeuristes peu regardant sur leurs sources. Au-delà de la mystification, le fake montre comment se fabrique l’info.

La vidéo a fait la une des JT de plusieurs chaînes d’infos : des images “exclusives” du crash du Rio-Paris qui auraient été “extraites de la carte mémoire d’un appareil numérique”, annonce la présentatrice de la télévision bolivienne. Sauf qu’il s’agissait d’images tirées d’un épisode de… Lost.

Trois semaines avant, c’est un inconnu qui, sur Twitter, s’est fait passer pour Phil Spector, le producteur récemment condamné à 19 ans de prison pour meurtre et qui serait réapparu sur la plate-forme de microblogging. Le faux Phil avait vite retenu l’attention des médias au gré de ses petites phrases “Mon 1 000e follower aura le droit de choisir le titre de mes mémoires”, “Je crois que j’ai cassé mon lavabo”. Une page dans le Sunday Express, une colonne dans Slate… avant que l’auteur ne dévoile la supercherie au bout de quelques jours.

Les canulars se sont ainsi multipliés ces derniers mois et on détecte chez tous ceux qui s’y livrent la même jubilation d’avoir berné les journalistes. Mais à quelles fins ?

Si, pour certains, il ne s’agit que de perpétuer l’art du canular, dans un esprit potache totalement gratuit, il semblerait que l’on assiste ces derniers temps à une prolifération de fakes conçus dans un esprit post-debordien, qui consiste à prendre d’assaut la forteresse de l’info pour en dénoncer les failles.

Ces nouveaux fakes s’accompagnent ainsi de tout un discours critique élaboré, dont les références se situent entre Cornelius Castoriadis (La Montée de l’insignifiance) et Noam Chomsky (La Fabrication du consentement). Ainsi, c’est pour les besoins de son mémoire en sociologie qu’un étudiant irlandais élabore il y a quelques mois un fake retentissant : il invente une fausse citation de Maurice Jarre qu’il intègre dans l’article Wikipedia consacré au compositeur. Pari gagné : les journaux du monde entier reprennent la citation. Justification de l’étudiant : “Avoir voulu faire une expérience dans le cadre de ses recherches sur la mondialisation.” Même démarche pour deux étudiants des Arts- Déco qui ont piégé Le Grand Prix Paris Match le mois dernier avec un faux reportage (cf. Les Inrocks n° 710). Leur intention : mettre à jour “les rouages d’un discours médiatique qui a pour ingrédients la complaisance et le voyeurisme”.

Mais si ces supercheries créent à chaque fois des effets de buzz indéniables, conduisent-elles réellement le public à adopter une attitude plus critique à l’égard des médias ? On peut en douter. Pour certains, le canular ne serait que la version la moins aboutie de l’art du fake. Ainsi, certains sites perpétuent- ils une culture de l’information parodique qui se veut une véritable charge contre les dérives de l’information. La référence incontestée du genre étant le site américain The Onion journal satirique lancé il y a vingt ans, devenu depuis un site web dont les fausses news sont reprises par les blogs du monde entier.

En France, le site du Journal du Futur (www.sousrealisme. org) présente des fausses news radio réalisées par des journalistes de… France Inter et RFI. Objectif : mettre à jour de façon ludique les ingrédients de la désinformation qui guettent les médias, du sensationnalisme au consensus. Guillaume Podrovnik, fondateur du site : “Le problème du canular, c’est qu’il ne se suffit pas vraiment à lui-même. Finalement, c’est une posture assez confortable qui ne fait que reprendre le discours sur la décrédibilisation générale des médias. Dans l’écriture parodique, on peut montrer par le biais de l’humour tous les tics et les travers des journalistes, dont ceux-ci ne se rendent pas toujours compte.” Par exemple, le site a consacré des reportages-fictions à Nicolas Sarkozy : on y voit des journalistes totalement dépassés par les faits et gestes d’un Président incontrôlable qui les entraîne dans un tourbillon d’où disparaît tout esprit critique. Soit un état des lieux qui ressemble de façon troublante à la réalité…


Mission apollo canular


Source : Les Inrocks

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mardi 14 juillet 2009

Les médias : premier pouvoir de désinformation au service des lobbies pharmaceutiques

Les medias : Le premier pouvoir de desinformation au service des lobbies pharmaceutiques

Le documentaire « Orwell se retourne dans sa tombe », réalisé par Robert Kane Pappas, est en plein dans le sujet lorsqu’on critique les dérives du lobby pharmaceutique et des divers corporatismes qui participent de la désinformation (générale et médicale) que nous vivons et que nous contribuons à perpétuer par l’absence de réflexion critique. Le pouvoir corporatiste qui détient les media joue selon la même loi du plus fort et du marketing que les corporations/multinationales pharmaceutiques. Déformation, censure, manipulation, mensonge, faiseurs d’opinion au service des groupes d’intérêt privés – la situation américaine vaut bien la nôtre. Les lecteurs de Marianne, du Canard enchaîné et du Monde diplomatique retrouveront des thèmes familiers : concentration des media aux mains de quelques lobbies tels celui de l’armement, monopoles occultés par l’illusion du choix, avec la pléthore des titres et des chaînes…

Non, ce n’est pas une énième version de la théorie du "complot" – injure à la mode dès que quelqu’un ose sortir des vérités préfabriquées livrées par packs… Mais c’est le constat d’une évolution vers ce que décrivait Orwell dans son roman 1984. Constat fait par des élus britanniques et américains - tels ce député du Vermont qu’on aimerait bien avoir en France... -, par un ancien procureur de Los Angeles, par des spécialistes des media (universitaires, anciens dignitaires médiatiques, producteurs), par des « chiens de garde » tels le Center for Public Integrity et d’autres. Il y a une fraîcheur, une spontanéité langagière et d’analyse qui tranche nettement avec ce qu’on peut lire ou entendre en France.

Le documentaire est sous-titré en français.



Orwell se retourne dans sa tombe (Orwell Rolls in His Grave)

Commentaires:

Comme le dit un intervenant, « le système médiatique est un « sous-traitant » de l’Amérique corporatiste », soucieux de ne pas froisser les lobbies et groupes d’intérêt et de pression. Des sujets explosifs, comme la paupérisation croissante de la grande partie de la population et l’enrichissement sans bornes d’une infime minorité « ne sont pas abordés pour éviter des conflits de classe », dénonce l’économiste Paul Krugman. Toute question sociale a disparu des media. Elles font du sensationnel, du divertissement, du fait divers qu’on interprète de façon à entériner et conforter une idéologie politique. Une opinion politique s’insinue peu à peu, nivellisante, uniformisante. En faisant dans le spectacle, les media dépolitisent, alors que leur rôle serait d’éduquer à la vie en démocratie, contribuer à ramener les gens dans l’espace public démocratique, dit Mark Crispin Miller, spécialiste des media à l’Université de New York. Et de donner une tribune à la critique, à l’investigation des dérives, abus, mystifications et mensonges des corporations / multinationales.

L’information n’est plus rapportée, mais gérée, refaite, de façon à moduler et « modérer » son contenu, à la passer par un lit de Procuste qui lui enlève tout son mordant. Ce qui n’est pas sans rappeler le procédé de l’industrie pharmaceutique - qui se sert des media pour son marketing et son commerce – appelé « ghostwriting » (écriture fantôme, par le service communication des firmes) ou encore « ghost management »… Ce ne sont pas les scientifiques qui font bon nombre d’études médicales, comme ce ne sont pas les journalistes qui font l’information… Il y a un « fantôme dans la machine », selon le titre ironique d’un article… Le service marketing des firmes pharmaceutiques gomme ou « adoucit » des résultats pas franchement encourageants ou réécrit le tout ; les médecins, experts, investigateurs… prêtent leur nom parfois sans même savoir ce que contient le texte final. Pareil pour le traitement de l’information « généraliste » par les chefaillons versés dans la censure et le maniement de la brosse à reluire, pour citer le Canard enchaîné, incarnation de la résistance.

Les journalistes travaillent avec les « sources officielles » : ce n’est plus de l’info, mais du marketing, une activité qui doit soutenir le commerce des lobbies qui financent et en veulent pour leur argent. Comme pour les media médicaux, les revenus des media généralistes proviennent en très grande partie des annonceurs. Et un député du Vermont l’exprime sans euphémismes : « peu de gens savent que, quand ils regardent la télé, ils regardent un programme produit par des multinationales qui ont d’énormes conflits d’intérêts », ce qui veut dire que les sujets qui touchent aux lobbies et à leurs réseaux de vassalité sont censurés. Il y a un « cadre de réflexion autorisé » et les journalistes sont façonnés pour penser à l’identique, avoir les mêmes approches, les mêmes tabous.

Depuis les années 70, les milieux néo-conservateurs américains ont créé des fondations lourdement financées, telles la « Heritage Foundation » ou les think tanks, qui n’avaient d’autre but que la mainmise sur les media, au nom de leurs combats idéologiques. Les analogies avec la France ne sont pas fortuites… Comme les clubs néo-cons dans le genre « Meilleur des mondes », les commissions à la mode en France, et la ribambelle de conseillers politiques, les think tanks produisent des analyses et des projections qui influencent les choix politiques, socio-économiques du pouvoir. Ils se servent des media pour les imposer comme des évidences, comme la seule solution possible aux questions traitées. Le message central étant que les intérêts des corporations / multinationales et l’intérêt général sont les mêmes… Les conflits d’intérêts ne sont même plus perçus. Il va sans dire que ces analyses valent aussi pour l’industrie pharmaceutique, lobbyiste le plus actif auprès des élus américains, chouchou de Bush (avec le lobby pétrolier et celui de l’armement). Les firmes pharmaceutiques utilisent les mêmes méthodes quand elles créent de toutes pièces des fondations et certaines associations de malades qui ne sont là que pour servir leurs intérêts, mais en les faisant passer pour l’intérêt des patients et du progrès thérapeutique… De l’humanitaire, quoi… grouillant de conflits d’intérêts.

« Ces dernières années, les media corporatistes et la politique ont fusionné » ; il va sans dire que la fusion s’est faite par les lobbies économiques qui détiennent les media et ont la plupart des politiques dans leur poche… Selon le Pr McChesney, de la Foundation of Media Reform, « le pouvoir corporatiste est défendu par nos media comme le communisme était défendu par la presse soviétique »… Les medias sont devenus « le ministère de la vérité » dont parlait George Orwell…

Il est désormais légitime de se demander si les media de masse ne seraient pas devenus une force anti-démocratique, cette « industrie de la culture » qu’Adorno voyait s’imposer déjà il y a plus de 60 ans. Une « industrie de la conscience » produisant des « analphabètes secondaires », selon le mot de l’écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger, dépourvus de tout esprit critique, mais maniant les quelques oripeaux de langage nécessaires à l’adaptation à l’ultralibéralisme. Mais « Se conformer n’est pas penser ». Consommer non plus…

« La seule chose qu’il fallait [pour an arriver là], c’était une série continuelle de victoires contre votre propre mémoire » (Orwell, 1984). Comme quand on oublie que les mêmes causes – et les mêmes méthodes - produisent les mêmes effets. L’oubli - inculqué mais aussi volontaire, dans cette société où l’indifférence est reine - permet la répétition, y compris des catastrophes sanitaires, et la reproduction de tout un système. Il nous rend tous co-responsables de ce qui arrive.

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mardi 12 février 2008